3-9 ans : Grandir en confiance

L’exemple, cet outil d’éducation redoutable

Samedi, 17h.

Nous revenons de la médiathèque (ouais, parce qu’on est des parents cools qui allons à la médiathèque emprunter des livres avec leur enfant) et du Leclercdrive (ouais, parce qu’on est des parents débordés qui seraient prêts à payer cher pour ne plus avoir à gérer du tout ces putains de courses – une sorte de frigo qui s’auto-approvisionne en connexion avec notre cerveau qui pense à ce qu’on aimerait cuisiner, ça se fait non ? Bref).

Bébé Carrousel est dans son siège et elle ne râle pas, par le truchement d’une compote à boire vissée entre ses dents, je suis sur mon portable (en train de vous lire ou de vous répondre bien-sûr !) et Papa ours est au volant. Le trafic est dense et soudain il se retrouve face à un sens interdit inattendu, qui contrecarre les plans minutieux qu’il avait élaboré dans sa tête pour gagner du temps (Papa Ours est un malade en voiture).

« Rhooooooooooooo c’est pas vrai ! Les cons, j’y crois pas ! » peste-t-il, comme à son habitude. Sachez que Papa Ours peste énormément en voiture et que ça me fait péter un câble.

« Puuuuuutain ! » lâche Bébé Carrousel, 2 ans.

GLOUPS.

Premièrement, mon bébé d’amour vient de dire putain.

Deuxièmement, mon bébé d’amour vient de dire putain dans un contexte parfaitement approprié.

Troisièmement, mon bébé d’amour vient de dire putain en appuyant bien sur le « u » pour marquer son agacement et tout et tout.

Triple GLOUPS.

Lui a-t-on fait un cours, un discours, une démonstration, un atelier Montessori, pour lui apprendre à jurer comme un charretier ? Que nenni. Elle a appris toute seule le mot, le contexte, la prononciation. Par le pouvoir de l’exemple, du mauvais exemple. Va falloir GRAVE se reprendre les gars, PUT***.

 

 

Dimanche, 5h45.

« Viens, maman, jeu !!!! »

Bébé Carrousel, au taquet, en pyjama et les cheveux en l’air, est en bas de mon lit et me tire sur le bras pour que je me lève. Les yeux collés, je cherche à tâtons sous mon oreiller mon portable (5H45 !!!!!!! PUUUUT***!) et les restes de ma bienveillance: « Bébé Carrousel, il est trop tôt pour se lever. Papa et maman restent au lit mais toi tu peux aller jouer dans ta chambre si tu n’es plus fatiguée, je t’allume la lumière ».

Miracle de la vie, elle y va et joue pendant 7 minutes avec sa dinette, nous laissant laaaargement le temps de nous rendormir profondément. D’ailleurs, Papa Ours ne s’était même pas réveillé, ses oreilles ne transmettant aucun message à son cerveau entre 23h et 7h.

« Allez, viens, lève maman ! Lève papa ! Allez ! ». Je sursaute, elle est de nouveau à côté du lit, les cheveux un peu moins en l’air mais toujours au taquet et elle commence à en avoir vraiment marre des deux marmottes qui lui servent de parents (qui m’a collé ces feignasses qui dorment encore à 6h du mat’ un dimanche ?). Enfant qui s’agace = enfant qui chouine. Enfant qui chouine à 6h du mat un dimanche = parents qui s’énervent. De tentatives ratées (« tu viens au dodo faire un câlin avec nous ? » – « non pas ! ») en propositions éconduites (« et si tu lisais un livre dans ta chambre ? » – « gniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!!!! »), le ton monte et Papa Ours finit par sortir du lit furax (« je vais péter un câble de cette baraque ! ») pour aller se faire un café.

Bébé Carrousel me regarde, les larmes aux yeux : « Papa fâché ? ». Cœur qui fond comme banquise sur une plage de Punta Cana. « Papa est fatigué et quand il se fait réveiller par des cris, il est de mauvaise humeur et fâché, oui ».

« Non pas ! » dit-elle d’un ton décidé, et la voilà qui part vers le salon, en emportant sa tétine et la petite couverture de son bébé sous le bras. « Papa ! Tape là ! » dit-elle en lui désignant un coussin du canapé. « Tape là, fâché ! Tape coussin ! Fâché pas! Crie pas, papa !». Ok, je pense que notre fille de 23 mois s’est lancée de la gestion de la colère de son père de 28 ans. Papa Ours tape un coup dans le coussin pour faire bonne figure et lui dit « C’est bon, je ne suis plus fâché ». Et c’est vrai hein, comment résister à un bout de cul pareil ? « Papa fatigué ? Tiens papa ! Dodo là » et hop elle lui donne sa tétine et sa mini-couverture pour qu’il s’allonge sur le canapé. Il s’exécute avec délice, peut-être va-t-il pouvoir se rendormir vraiment? « Allez jeu papa ! ». Ah non. Faut pas déconner non plus. La journée va être loooongue …

Là encore, lui a-t-on fait des cours et des discours ? Que nenni. Elle fait avec nous comme on fait avec elle. Par le pouvoir de l’exemple, du bon exemple.

(Bon, on n’est pas toujours bons, d’ailleurs s’expulser du lit en criant n’est absolument pas un bon exemple de réaction, mais il faut croire qu’on est plus souvent bon que mauvais, c’est ce qui compte hein !).

Tout ceci pour dire quoi ?

Il n’y a pas d’outil éducatif plus puissant que l’exemple.

(Conclusion de fou que vous n’aviez pas venu venir, hein ?)

Pour le meilleur ou pour le pire, nos enfants engrangent une tonne d’informations en nous observant et ils ont, dès le plus jeune âge, d’étonnantes capacités pour contextualiser et tirer des enseignements généraux des situations précises qu’ils observent.

Le langage est le meilleur exemple de cette incroyable capacité ; pendant des mois, ils absorbent en silence, à notre insu, et un jour, ils commencent à parler, spontanément ! A utiliser les bons mots, aux bons moments, dans le bon ordre (ou presque). A mobiliser des principes de conjugaison et de grammaire dès leur plus jeune âge …. Il n’y a qu’à voir comme les enfants sont résistants aux fameuses exceptions de notre langues aux règles de grammaire et de conjugaison, tant ils intégrèrent instinctivement et spontanément la règle générale sans même qu’on l’a leur explique. Tout ça, c’est le résultat de l’observation et de l’exemple. Si on utilise des mots de « bébé » à tout-va, ils les utiliseront, si on utilise les bons mots, même compliqués, ils utiliseront ces mots compliqués dès qu’ils en seront capables.

Si nous en sommes relativement conscients concernant le langage (surement pas assez quand même chez nous, puisqu’on continue à dire PUT***….), en avons-nous tout aussi conscience lorsqu’on se montre hypocrite avec des gens par devant et qu’on les critique par derrière, quand on se laisse déborder par la colère et qu’on tempête sur nos enfants, quand on crie sur notre conjoint, quand on va au travail à reculons et qu’on en revient les sourcils froncés et le regard vide, quand on mange sans se parler en regardant la télé, quand on ne lâche pas un mot à ses voisins dans l’ascenseur ou qu’on garde les yeux par terre dans le RER pour éviter les femmes enceinte et les mamies qui voudraient notre place assise, quand on réprime nos émotions et celles de nos enfants et qu’on se défoule sur le premier prétexte venu, quand on demande aux filles d’aider à la vaisselle et pas aux garçons, quand on dit « oui » alors qu’on pense « non », quand on ignore une personne qui a ostensiblement besoin d’aide, quand le quotidien est une succession de contraintes sans joie, quand on crie sur l’enfant qui fait une colère, quand on fait tout pour couper aux repas de famille, quand on s’enfermer chez soi sans vie sociale comme si le monde était dangereux, quand on donne une fessée à l’enfant qui tape, quand on sert tous les jours des plats tout préparés et qu’on ne mange jamais avec ses enfants, quand on jette les bouteilles en verre dans la poubelle classique, quand on ne peut pas passer une soirée entre amis sans être bourrés, quand on conduit bourrés ou à 30 km au dessus des limitation de vitesse s’il n’y a pas de flics en vue, quand on tombe à bras raccourcis sur son enfant à la première erreur, quand on jamais le temps pour rien, sauf pour surfer sur Facebook, quand on rachète systématiquement au lieu de réparer, quand on insulte le premier mec qui a oublié son clignotant, quand on ne peut pas parler politique sans que ça dégénère, quand on accepte de faire toutes les tâches ménagère pendant que l’autre conjoint regarde la télé, quand on dit plus souvent « dépêche toi, attends ! » que « je t’aime », quand on est prêt à tout pour gagner plus d’argent, quand on ne parle jamais de ses sentiments ou de ses besoins, quand on a toujours besoin d’autre chose de plus, quand on a jamais le temps de jouer, quand on se moque de l’enfant qui boude, qui est fâché ou qui pleure, quand on achète tellement de cadeaux que ça n’a plus de valeur, quand on ment pour éviter une confrontation, quand les filles sont des pisseuses et que les garçons ça ne pleurent pas, quand on dit toujours ce qui ne va pas et qu’on ne remercie jamais pour tout ce qui va bien, quand on a des rêves mais qu’on les abandonne, quand on a des convictions mais qu’on les trahit, quand on ne se bat pas pour ce qu’on mérite, quand on rencontre des obstacles et qu’on laisse tomber, quand on ne pardonne pas à la personne qui nous demande pardon, quand on ne sait pas demander pardon à ceux qu’on a blessé, quand on fait une croix sur une relation sans essayer de la réparer, quand on sait tout mieux que celui qui le vit, quand on a des idées bien arrêtées et qu’on ne se met pas à la place de l’autre…. Est-ce qu’on y pense, à tous ces signaux qu’on envoie en permanence, ces bons et ces mauvais exemples que nous sommes constamment ?

Alors dis comme ça, ça fait un peu flipper ; quelle responsabilité d’être en permanence des « modèles », dans le sens strict du terme !

En même temps, je trouve ça formidable et encourageant : on dit souvent que c’est difficile d’éduquer les enfants, que ça demande du temps, de la patience, qu’ils peuvent se faire influencer, etc… Là, on parle finalement d’un puissant outil que l’on a tous entre les mains pour leurs transmettre des valeurs vraiment importantes (bien plus importante que « on ne saute pas sur le canapé » ou « pas les coudes sur la table »), et cet outil ne dépend que de nous, de ce que nous sommes réellement.

Bien-sûr, ça demande un effort de prendre du recul sur ses propres pratiques et personne n’est parfait ni capable de se battre sur tous les fronts pour le devenir. D’ailleurs, est-ce qu’un parent « parfait », du moins sur le papier (car en soit il n’y a pas de perfection absolue, juste des systèmes de valeurs qui coexistent), est le meilleur exemple pour des enfants ? Je ne pense pas, non ; au contraire, ils apprennent encore plus de nos cheminements, de nos erreurs, de la façon dont on réagit face à l’échec ou aux sentiments négatifs, de notre capacité à changer et à progresser, des efforts qu’on fourni…. C’est pour cela que nous pouvons tous être un bel exemple pour nos enfants, à partir du moment où l’on prend conscience de notre pouvoir d’influence et où l’on réfléchit davantage à toutes nos pratiques, à tout ce qu’on transmet sans y penser.

Bien-sûr, c’est plus compliqué que de faire tout ce qu’on veut sans se poser de question, tout en faisant des beaux discours à nos enfants pour qu’ils fassent autrement et en les envoyant au coin ou en leur filant des punitions à la première incartade, « pour qu’ils apprennent ». Ca, c’est sur. 😉

Pourtant, entre ce qu’on dit et ce qu’on fait, les enfants choisiront toujours ce qu’on fait, par la vraie vie menée par leurs modèles… Alors ça vaut le coup d’y réfléchir 😉

 

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PS : les photos n’ont pas grand chose à voir, ou alors il faut bien chercher, mais j’assume 🙂

16 réflexions au sujet de « L’exemple, cet outil d’éducation redoutable »

  1. Ppppffffff qu’est ce que j’aime te lire c’est ouf…. 😀
    Comme toujours, entièrement d’accord avec ce que tu écris.
    Et moi souvent je m’enthousiasme en réalisant qu’un enfant ça te fait évoluer chaque jour, et ça TE REND MEILLEUR. C’est quelque chose que je ne savais pas avant d’en avoir un, et c’est merveilleux. Personnellement je trouve que j’essaie (souvent, pas toujours, faut pas exagérer ^^…) d’être meilleure à ses côtés (jme lance quelques fleurs, en ce mardi matin déprimant et gris j’estime avoir le droit!!!) et j’en suis fière, parfois… (mais souvent je me flagelle en me disant « chuiiiiiis une mauvaiiiiiiiise meeeeeere » malgré tout )
    Bon, par contre, j’ai PEUR du jour où le 1er gros mot arrivera dans la jolie bouche de mon bibou!!!! J’ai beaucoup réduit mais ça sort facilement au volant hein, sans vouloir excuser papa ours 😉

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  2. Tellement vrai… ici, je le vois vraiment aussi dans la façon dont ma grande s’adresse à son petit frère, c’est trop chou.
    Parfois touchant, parfois un peu flippant, ce don d’imitation……
    Petit bémol : je trouve qu’elle imite aussi d’autres sources, du genre le petit garçon « terrible » qui est avec elle chez la nounou (qui crie, qui tape..) et là, c’est moins fun…
    D’ailleurs, rien à voir, mais comment vis-tu le fait de faire tous ces efforts, d’avoir cette réflexion très intense et constante sur son éducation, pour ensuite la laisser toute la journée dans un modèle d’éducation plus « classique » que tu ne cautionnes pas forcément à 100 % ??
    (je dis ça, j’en sais rien, si ça se trouve, tu as trouvé un lieu d’accueil parfait à tous points de vue..)

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    1. Et bien j’ai bcp de chance d’avoir trouve une crèche plutôt bienveillante, ou il NY a ni coin ni punition. La dernière fois l’auxiliaire me disait que Bébé Carrousel avait fait plusieurs grosses colères, quelle lui avait dit qu’elle avait le droit d’être fâchée, qu’elle avait fait des câlins après… Et elle ma parlé spontanément de prévoir un coussin de la colère avec les enfants. Donc même si ce n’est pas parfait parce quil y a les contrainte du collectif et les personnalités de chacune, dans l’ensemble j’ai bcp de chance 😉

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  3. J’ai remarqué que l’exemple ne marche pas que pour les enfants mais aussi pour les adultes autour. Comme toi, mes lectures m’ont beaucoup aidé à remettre en question mes manières de faire (Filliozat, Jane Nelsen, Gordon, etc) et j’applique donc (quand j’y pense – c’est à dire après 7h du matin :p) ces nouveaux principes avec mon fils. Et quel plaisir de voir que mon chéri ou ma maman, qui n’ont absolument pas eu toute cette sensibilisation, reproduisent au fur et à mesure ces principes eux aussi 🙂

    Et moi même, je finis par prendre exemple sur moi même en m’appliquant mieux dans mes autres relations (mon chéri, mes collègues, etc).

    Bref, tout ça pour dire : je te rejoins, l’exemple est un outil très puissant et comme l’a dit Nina, mon fils n’a pas fini de me rendre meilleure à ce rythme !

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  4. En dehors du fait qu’il était bien trop tôt pour un dimanche, j’ai adoré le passage où elle veut calmer son père et le recouche, vous ne devez pas vous ennuyer avec elle 🙂

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  5. J’adore! Et c’est vrai qu’entre ce que l’on fait et ce que l’on dit, l’enfant choisira toujours ce qu’on fait. Reste à accorder les 2, autant que possible, pour garder la confiance. Pas toujours simple… Parfois c’est en remarquant quelque chose chez mon fils (2,8 ans) que je me rends compte qu’il reproduit ce qu’il voit chez moi, parfois ça donne le sourire, parfois nettement moins …. « Chui une mauvaaaaaaiiiiise meeeeeeeeere », à fond les ballons. Et c’est vrai que ça marche aussi avec les adultes. Les neurones miroirs fonctionnent -ils toute la vie?
    Au plaisir de vous relire 💚

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  6. Le début de ton article m’a bien fait rigoler.
    Dans ces moment là, je suis bien contente de dire Punaise ! Il arrive à ma fille de le répéter mais du coup, ça passe mieux 😉
    Après, je te rejoins totalement pour l’exemple mais il est évident que cela implique en générale une grosse remise en question. Mais je trouve que cela faut largement le coup. Pour être mieux avec nous même et aussi pour éviter à nos enfants de partir dans la vie avec des mauvaises bases.
    Merci encore pour cet article très complet. C’est toujours un plaisir de te lire 🙂

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  7. Pour moi aussi c’est toujours un plaisir de te lire 🙂
    dur dur 5h30 le dimanche matin…
    Un article intéressant et rigolo, sur lequel je te rejoins tout à fait, l’exemple qu’on donne va sans doute beaucoup jouer dans le comportement de nos enfants… L’autre jour je ne comprenais pas pourquoi mon fiston disait « est-ce que tu peux me filer un petit filou ? » au lieu de « donner » jusqu’à ce que je me rende compte que c’est moi qui utilisais parfois ce mot en parlant à son père..!! 🙂

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  8. Waw
    J’adore, comme toujours !
    Je suis une vieille maman à côté de toi et tes lectrices, j’ai 43 ans et mes filles ont 14 et 8 ans, et je suis infiniment reconnaissante à la maternité de m’avoir ouvert tant de nouveaux horizons, de m’avoir obligé à clarifier mes valeurs, à interroger mes comportements, je suis infiniment reconnaissante à mes filles pour l’amour qu’elles me donnent, celui qu’elles m’inspirent, et pour la remise en cause qu’elles m’incitent à opérer, pour leur questionnement, leur nouveau regard sur la vie… Quelle riche aventure de dingue, la parentalité! Quelle chance de pouvoir vivre ça! C’est sûr que nos enfants nous élèvent autant que nous les élevons!
    (Note à moi-même: relire ce commentaire les jours de doute, de crise, de range ta chambre et de fais tes devoirs 😉)

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