0-3 ans : S'attacher

Le nourrisson, ce meuble en kit livré sans mode d’emploi…

Imaginez un beau meuble du Suédois. Mais pas une bête petite table MAMMUT ni une pauvre étagère BILLY. Non un ensemble TV-vitrine-buffet bien costaud de 2,50 mètres de long, livré au moins en 4 cartons. Avec tout un tas de vis différentes, dont certaines quasi identiques à quelques millimètres près qui changent tout, des charnières, des poussoirs, des bloques portes, des roulettes et tout le bordel. Des planches de toutes tailles, des planches de la même taille avec juste 2 trous pas au même endroit, des planches avec un côté joli et l’autre en contreplaqué qu’on doit pas voir, des planches avec des petites fentes pour les étagères, des planches avec des contreforts plaqués et d’autres ou on voit le mélaminé. Des tiroirs, des casiers, des portes, des étagères, des vitrines et même des LEDs.

Imaginez que ce meuble est livré sans notice de montage. On vous a parlé des meubles Suédois, d’ailleurs tout le monde en a ou presque, on vous a donné quelques infos importantes, genre bien enfoncer les vis jusqu’au bout mais sans forcer, fais gaffe au sens des planches, visse bien à plat, ce genre de trucs qui vous semblait un peu obscure avant d’être concerné. Vous avez même vu des meubles Suédois chez les potes, mais ils étaient déjà montés, parfois un peu de traviole et vous avez pensé que c’était du boulot bâclé et que vous feriez mieux avec le vôtre. Mais voilà, on vous a livré le vôtre et maintenant c’est votre tour. Ou plus précisément, vous avez sué sang et eau pour caser les 4 cartons dans votre twingo puis pour leur faire passer votre petite cage d’escalier , éraflant au passage le cuir des sièges et la peinture des murs.

Et puis imaginez que vous n’avez pas le droit de sortir toutes les pièces en même temps pour observer l’ensemble et en déduire un plan de montage ; une autorité machiavélique vous sort les pièces des cartons une par une, sans aucune logique,  sans explication et sans que vous sachiez combien il en reste encore dans la boîte.

Pompon sur la Garonne, vous n’avez qu’une vague idée de ce à quoi ce fichu meuble doit ressembler à la fin. Ça doit tenir debout, être capable de supporter des trucs sans s’écrouler et n’être pas trop moche. A part ça, c’est le flou le plus complet quant au rendu final. Et même quand vous aurez fini de le monter, personne ne saura vous dire si vous avez bien fait le job, car il n’y a pas un meuble identique à l’autre, malgré les apparences ; vous verrez a l’usage, au fil des années.

Au début on est plein d’entrain et de bonne volonté, au milieu on a de gros coups de mou et de découragement (surtout quand il y a des pièces partout dans le salon et qu’on cherche une saloperie de vis à tête cruciforme de 5mm qui a roulé sous le canapé), à la fin on est épuisés mais fiers de ce qu’on a accompli.
Au départ, on voit un tas de planches identiques, puis on découvre les particularités. On  ne voit pas trop par où commencer, on se lance au hasard avec l’impression de ne pas savoir ce qu’on fait.

On tâtonne, on essaye, on se trompe et c’est comme ça qu’on apprend. On tire des enseignements de chaque essai, jusqu’à finir par trouver une place à chaque pièce.

Le plus dur, c’est quand on a cru avancer dans la bonne direction, une partie du meuble est monté, on y a passé du temps et… on s’est trompé. Une pièce est dans le mauvais sens, et il faut tout démonter pour recommencer. Ou quand on croit avoir tiré une généralité de notre expérience, « ah ce genre de vis, ca va toujours en bas a droite de ce genre de planche, ca fait 3 fois que c’est le cas! ». Mais non, la 4eme fois ça ne marche pas. C’est le découragement, le sentiment qu’on en verra jamais le bout, qu’on est même pas capables de monter un pauvre meuble en kit alors que les autres y arrivent les yeux fermés et nous invitent ensuite dans leurs interieurs impeccables avec leurs meubles meme pas un peu bancals, les enflures. Mais on ne peut pas le rendre, ce meuble, et puis on en a besoin, alors on a pas le choix, on s’y remet.

On finit par connaître chaque pièce par cœur, la sensation du bois sous les doigts, l’angle de cette planche un peu arrondi, la tête de cette vis un peu imparfaite, les éraflures qu’on a fait ici et là en se trompant. A tel point qu’en avançant dans le montage et passé un point critique où on pensait ne jamais y arriver, on devine de plus en plus vite où la nouvelle pièce sortie du carton va pouvoir s’insérer. On développe une intime connaissance de notre meuble, à force de le parcourir et de l’envisager sous tous les angles. Mais de mode d’emploi tout prêt, il n’y a toujours pas : il y a juste nous, qui avons aiguisé tous nos sens, même si on ne sait plus trop après coup dans quel sens on a mis quoi.

Et bien voilà, c’est ça, apprendre à comprendre son nouveau né. C’est un bébé, voilà ce qu’on pense, sans se douter à quel point c’est une mécanique de précision.

On pense qu’on va devoir le nourrir, le changer, le bercer un peu, le coucher, le promener en poussette et le porter de temps en temps. Ces grands verbes d’action qu’on attribue à tous les bébés et qui manquent cruellement de subtilité.

Non, mon bébé je ne la nourris pas, je la porte dans mes bras, du côté où je n’ai pas de crampe a force de la bercer, je l’incline pour son reflux, je l’asseois avec son petit menton bien rentré pour casser le jet du REF, je chatouille son nez avec mon mamelon pour qu’elle ouvre grand la bouche et se positionne correctement pour que sa succion soit efficace, je l’ôte délicatement de mon sein en mettant mon petit doigt dans le coin de sa bouche pour laisser s’écouler le flux trop fort et quand je vois ses jambes commencer à pédaler, qu’elle lâche le sein, se jette en arrière, le reprend, et recommence sans cesse, je sais qu’il est temps de faire une pause pour son rot. 

Non, mon bébé je ne la change pas, je la garde longuement a la vertical avant de l’allonger, je lui enleve sa couche et la laisse ainsi car elle aime le contact de l’air sur sa peau, j’attends que l’eau du robinet soit tiède pour mouiller le coton car elle n’aime pas quand c’est trop frais, je serre la couche un peu comme ci, un peu comme ça, selon le moment de la journée, pour ne pas qu’elle ait mal aux cuisses si je prévois de la mettre en écharpe, mal au ventre si elle n’a pas encore teté, que ça ne fuite pas sur le côté si on s’apprête à sortir. Si je dois changer ses vetements je prends mon temps car elle n’aime pas les gestes brusques, je laisse un bout de serviette sur elle pour qu’elle ne se sente pas entièrement nue, je fais attention à ne pas trop lui prendre les mains car ça lui donne envie de téter. Oui, elle a le hoquet, c’est normal a chaque fois que je la change ça fait un peu remonter, elle ravale puis elle a le hoquet.

Le soir je ne couche pas mon bébé. Non, je passe une demi heure, une heure, trois heure selon les soirs, à essayer d’abord de la calmer, en la bercant, dans la pénombre mais pas dans le noir sinon elle crie, ses fesses assise au creux de mes coudes, sa tête dans mes deux mains, mes index sur ses tempes. On se relaye avec Papa Ours, on branche l’aspirateur, le sèche cheveux, on vérifie que les pleurs ne réveillent pas notre Carrousel. Quand enfin elle dort, on sait que c’est d’un sommeil léger, agité, impossible de la poser. Il faut profiter d’un demi-réveil pour lui proposer le sein, et seulement a ce moment là, sinon elle le refusera. Alors elle tête calmement, efficacement et LA elle est endormie profondément pour plusieurs heures, et on peut la poser… si elle n’a pas trop de remontées.

Chaque parent à ses bribes de mode d’emploi, mode d’emploi qui tient plus de la thèse que de la notice de montage illustrée.

C’est ce cri, un peu aigu, un peu strident, tout petit, guttural, saccadé, qui veut dire qu’il a faim, qu’elle a mal, qu’il veut être porté. Cette tête qui se tourne, qui s’enfouit, qui picore le décolleté, annonce la tétée. Elle cherche sa main, elle a mal aux dents, il veut téter, elle a eu peur. C’est quand il est surpris qu’il a ce pleurs particulier avec des vraies larmes et la bouche retroussée. Elle va faire caca, elle me regarde droit dans les yeux avec son drôle d’air concentré. Ne dépasse pas les 36°, elle n’aime pas le bain quand il est chaud, mais si je te le dis, elle ne pleure pas, mais ça la fait sursauter. Je sens que ce trajet va mal se passer, il regarde à droite et à gauche super vite, il va pleurer dans 3 minutes. Pas de grands gestes, ça lui fait froid quand elle est mouillée. A cette heure-ci, n’essaye même pas de le poser il va se réveiller. Je l’ai entendu tousser, elle va se réveiller pour téter. Prend le très vite dès qu’il commence à s’agiter et berce le doucement, sinon il faudra 1h30 pour qu’il se rendorme. Non non, si je lui donne le sein là, ça ne va pas marcher, tu vois elle s’énerve je te l’avais dit, je le savais.  Quand il pédale comme ça, il a mal au ventre, lève le en l’air en l’appuyant contre tes avant-bras. Au pire mets toi sous une lumière ça va capter son attention et quand il est bien calme tu peux progressivement te mettre dans le noir pour qu’il s’endorme. Il lui faut cette gigoteuse, ce doudou, cette tetine, cette musique et cette lumière pour qu’il s’endorme. Non non, vous pouvez sonner,  l’aspirateur, mettre la musique, ça  la dérangera pas puisqu’elle dort dans l’écharpe. Parlez-moins fort, le temps qu’il s’endorme, il sursaute quand vous rigolez ! Quand la soirée se passe comme ça, la nuit est merdique. Quand la nuit se passe comme ceci, la journée est pourrie. Non elle ne veut pas téter, oui je sais qu’elle suce sa main mais elle est juste fatigué. Tapote lui les fesses en rythme régulier pour le calmer, mais ne le berce pas en même temps ça l’énerve, à partir de 18h il ne supporte pas les mouvements. Il lui faut une tétine dans la bouche et 2 dans les mains pour qu’il dorme. Elle, demain elle est malade, je le sens ! 

Et on voudrait nous dire comment faire avec nos bébés ?! Il y aurait des gens, des experts, des professionnels, qui croisent nos bébés 15 minutes par ci, une heure par là et qui prétendent savoir mieux que nous comment nous en occuper ? Il y a des amis, de la famille, qui voudraient calquer leur vécu parfois daté, édulcoré, exagéré, flouté sur cet être si complexe avec lequel on passe nos journées?  Il y aurait des règles, des vérités, de l’universel a coller sur ce bébé si singulier ?

C’est pour cela que les parents sont les seuls experts de leur enfant, qu’ils savent mieux que n’importe qui ce qui est bon pour lui ; ce n’est pas qu’ils deviennent soudain un puit de connaissance sans fond sur leur bébé le jour de sa naissance, c’est juste qu’ils sont les seuls à avoir la patience, la motivation et la nécessité de l’observer assez intensément pour le décrypter…. a peu près !

21 réflexions au sujet de « Le nourrisson, ce meuble en kit livré sans mode d’emploi… »

  1. Encore un article très très vrai ! Et j’ajouterai à la complexité du processus que, nos enfants, au fur et à mesure du montage, font évoluer la notice. On le constate tous les jours avec les 2 petits : quand on atteint un point d’équilibre, on bascule presque aussitôt dans un autre cycle qui oblige chacun à un nouvel apprentissage mutuel pour retrouver un point d’équilibre. L’avantage, c’est qu’on n’a pas le temps de nous endormir sur nos lauriers 🙂

    J’aime aussi beaucoup quand tu parles de ces « experts » qui te disent quoi faire avec ton enfant. Quand Bébé#1 est née, elle a eu énormément de coliques, pendant plus de 4 mois, à t’arracher le coeur. On avait essayé beaucoup de choses, y compris des médecins spécialistes qui te disaient tous « ça va passer », indifférents à la souffrance de l’enfant et ta détresse de parents (en mode : c’est quelques mois sur toute une vie, qu’importe !). Idem quand elle faisait ses dents et nous faisait des pics de fièvre à 40C. Tout le monde nous disait que c’était pas ça, que c’était pas possible. ET pourtant ça s’est vérifié jusqu’au bout !

    L’arrivée des enfants nous fait prendre conscience qu’on a bien plusieurs cerveaux. C’est la mode scientifique d’en parler, mais je trouve que devenir parents, c’est le vivre : c’est encore plus compliqué dans notre petite tête, mais on ressent aussi dans notre coeur et dans nos tripes, ces zones si pleines de connexions neuronales, tout un tas d’émotions qui contribuent au lien si particulier qu’on noue avec l’enfant !

    Bonne continuation & enjoy

    Arnaud

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    1. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’indifférence, mais plutôt de désarroi. même si la plupart des médecins d’enfants sont très réticents à donner le moindre médicament, malheureusement il n’y a parfois rien à faire sinon que laisser le temps à l’organisme de se développer (et pourtant croyez moi je les vécues ces nuits de poussées dentaire avec 40 de fièvre alors que tout le monde disait que c’était impossible).

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      1. Vous avez très certainement raison Paloma. C’est juste que dans ces moments là, on aimerait parfois un peu de réconfort, de chaleur, ou au minimum un sentiment de tolérance vis à vis de notre ressenti de parents. C’est certainement pour ça que nous avons pris ça pour de l’indifférence… Il n’y a effectivement pas de médicaments miracles à beaucoup de choses. Mais nous rassurer en tant que parents, voire partager des petits trucs qu’on a pu entendre ça et là via d’autres parents, ce serait tellement important psychologiquement, à défaut d’être 100% efficace.

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  2. Ouah c’est un texte magnifique et tellement vrai. Ce parallèle avec le montage de meubles, ces petits vécus à la fin… Bravo pour cette retranscription si réaliste… Chaque enfant est unique, chaque parent est unique et chaque lien parent-enfant l’est aussi….

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  3. Bon sang mais quand tu seras sortie de ce tunnel n’oublie pas décrire un bouquin, parce que tu es trop douée (alors qu’en plus tu es certainement crevée 😉 ) que tu m’emmènes à chaque fois dans ton histoire…
    Je m’y retrouve aussi tellement. Tu n’es pas seule!!!!
    Courage maman Poule. Tu es et resteras la meilleure maman possible et imaginable pour tes deux adorables petites filles. ❤

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  4. La photo des deux pépettes est adorable ! Excellente approche le coup du meuble (et j’adore la métaphore sur la grossesse et l’accouchement, ça m’a fait rire, moi qui suis à 9 jours d’accoucher, je penserais à l’etroite cage d’escaliers). Et en effet, on a tous bac+8 quand il s’agit de nos gosses, mais ça demande beaucoup d’acharnement ! Il n’y a que nous pour avoir la motivation d’obtenir ce diplôme là.

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  5. Effectivement, les modèles proposés sont rarement livrés avec le mode d’emploi! Alors on tâtonne comme on peut avec la fatigue et le quotidien à gérer. Mais j’ai l’impression que tu as déjà très bien décrypté Bébé Fusée. En revanche, il faut bien avouer que ce qui fonctionne cette semaine ne pourra peut être plus servir la suivante tant les bébés évoluent vite. En tout cas, continue à écrire de beaux textes comme ça à défaut de rédiger une notice de montage de meuble en kit, c’est quand même bien plus prenant et rassurant pour les parents qui te lisent 😉
    Ps: je vois que je ne suis pas la seule à me balader en soutif dans l’appartement car au choix, le tee-shirt est déjà trempé de lait ou choix numéro 2, enlevé d’avance pour éviter qu’il ne le soit et contribue à remplir la corbeille à linge

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  6. J’adore la comparaison avec le montage de meuble!
    Sinon ton article est tellement vrai (comme toujours d’ailleurs) mais ça fait vraiment du bien de le lire.
    Du coup, j’espère que ça va mieux par rapport à ton article de la semaine dernière et j’espère que ton weekend t’aura bien aéré l’esprit 🙂

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  7. Merci pour ce texte très réaliste… C’est une belle comparaison! On a justement monté une petite cuisinière de jeu de chez le suédois et il nous reste une vis qui ne va nulle part! Et oui, apprendre à décrypter bébé est une vaste tâche… mais c’est tellement chouette d’arriver à comprendre son bébé au premier regard ou au premier cri alors que « les autres » n’y comprennent rien… On l’écrit jour après jour notre mode d’emploi personnalisé!

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  8. J’adore la comparaison, tellement vraie ! Et à lafin on a le droit à une photo méga craquante de tes 2 filles (le regard espiègle de mlle Carrousel, le regard un peu surpris de bébé fusée ! ) Un meuble difficile à monter certes mais très photogénique et qui décuple nos facultés.

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  9. Personnellement j’ai apprécié aussi que d’autre personne me propose aussi des astuces, me montrent d’autre manière de faire et j’ai toujours testé sur ma fille et ça nous as aidé ! Donc oui chaque bébé est différent et nous sommes les mieux placés pour les connaître mais d’autre personne peuvent aussi nous aider par leur bonnes idées, leur expérience.
    Et deuxième point, je trouve que quand on crois connaître les habitudes de notre bébé c’est là qu’il avance, qu’il évolue et les « trucs » qui marchaient hier sont remplacés par d’autre « trucs ».
    Ma fille n’a que 3 mois et peut être que les habitudes se mettent en place de plus en plus. Mais je n’ai jamais vu « quelques chose » d’aussi changeant d’un jour à l’autre ! Et c’est plutôt rassurant quand on est à bout, fatiguée par plusieurs nuits catastrophique et hop du jour au lendemain bébé va être tout calme et dormir comme un loir.
    Rien n’est jamais acquis, il n’y a que notre expérience qui grandie 🙂

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  10. Bonjour !
    Au fil de les recherches sur Internet sur des articles concernant le sommeil de bébé je suis tombée sur votre blog, et le billet sur le sommeil.. Puis j’ai continué à vous lire et je laisse un petit mot car c’est extra 😊 drôle juste et deculpabilisant. Merci ! Vive nos baby uniques !

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