3-9 ans : Grandir en confiance·Couple, fratrie, famille.

Sans crier gare

17h : je pousse la porte de la crèche, bébé Fusée en echarpe, et je cherche des yeux Mademoiselle Carrousel à travers la porte vitrée. « Mamaaaaaaannnnn! ». Elle s’est faufilée par la porte en meme temps qu’un parent et se jette dans mes jambes. Je l’embrasse avec toute la joie que me procure le fait de retrouver ma boule d’amour et d’énergie chaque soir. Elle embrasse sa petite soeur une fois, deux fois, trois fois : « t’as vu maman elle est contente, elle voudrait bien aller à la crèche !« . Mademoiselle Carrousel a passé une bonne journée, elle a bien mangé, bien dormi. Elle coopère pour mettre ses chaussures, son manteau, me donne la main pour traverser, patiente à la pharmacie, accepte d’attendre mercredi pour acheter une pâtisserie a la boulangerie, si bien que le boulanger lui offre 2 chouquettes et elle est d’accord pour n’en manger qu’une et garder l’autre pour après le dîner. Bébé Fusée dort dans l’écharpe paisiblement. La situation est sous contrôle, tout va bien.

18h : Mon téléphone sonne, une amie à besoin d’un code de retrait pour pouvoir retirer le colis que je lui ai fait envoyer, elle est au relais en train de patienter. On s’arrête en chemin, je cherche dans mon téléphone, Mademoiselle Carrousel voudrait continuer mais je lui demande de patienter en sécurité sur le trottoir car je n’ai pas l’attention nécessaire pour continuer. Elle râle, elle veut manger l’autre chouquette, je ne trouve pas ce que je cherche, bébé Fusée s’est réveillée et commence à râler. Entre deux lecture de mail (Mais ou est ce putain de code !), je marmonne quelque chose à Mademoiselle Carrousel a propos de patienter jusqu’au dîner, elle crie qu’elle veut manger tout de suite, Bébé Fusée pleure franchement, je hoche sur le trottoir pour la bercer en même temps que je cherche, Mademoiselle Carrousel m’arrache presque des mains le sac de la boulangerie, je lui crie dessus. Ça y est, ça dérape.

18h10 : J’ai trouvé le code, j’ai repris la main de mademoiselle Carrousel dans la mienne et j’ai surtout pris le temps de lui expliquer ce que je cherchais et pourquoi c’était urgent. Elle enlève ses chaussures et se lave les mains en arrivant sans que j’ai besoin de demander, pendant que je m’installe pour la tétée de bébé Fusée. Mademoiselle Carrousel nous rejoint, se glisse sous mon bras, on se câline, tout va mieux, on se sent bien.

18h30 : Il faut que je lance le dîner et c’est l’heure où bébé Fusée ne supporte plus rien et surtout pas d’être posée. Alors je cède à la demande de Mademoiselle Carrousel pour 10 minutes de dessin animés (soit 2 épisodes de Mofy). Mon téléphone sonne, on m’annonce une très triste nouvelle qui me bouleverse ; de la tête, j’acquiesce à ma Carrousel qui me montre le 3eme épisode de Mofy qui vient d’enchaîner avec les precedents, vas y oui tu peux regarder. Et un quatrième aussi. J’ai raccroché, ma Fusée hurle, je pars à la salle de bain la préparer pour la nuit après avoir remué ma casserole, la tête complètement ailleurs. Fin du 4eme épisode, crise de nerf, hurlements, encore un dessin animééééé, je paye cher les 20 minutes d’écran que jai accordé. Sur la table à langer, ma Fusée redouble de cris en entendant sa soeur hurler, ça sent le brûlé dans l’appart. C’est le climax du bordel, le moment où je payerai cher pour être ailleurs.

19h : Papa Ours passe le pas de la porte, ça tombe bien puisque ma Carrousel était en train de le réclamer en pleurant – vu l’indisponibilité chronique de sa mère, on la comprend.  Jeux et rires retentissent enfin dans la maison, malheureusement je n’y prends pas part puis que je suis dans la chambre en train de faire téter et coucher ma Fusée. La pression retombe, deux adultes pour deux enfants, c’est le minimum syndical à cette heure ci.

19h30 : j’entends papa Ours râler au salon et ma Carrousel pleurer. Je devine une histoire de verre renversé. Je viens de poser ma Fusée endormie dans son lit mais déjà elle s’agite, alors je tente de l’apaiser. Ma Carrousel entre dans la chambre en pleurant, je lui fais signe de faire doucement et que j’essaye d’endormir sa petite soeur. Je la vois repartir penaude et mon coeur est en miettes. J’aide ma Fusée à trouver son pouce pour patienter et je rattrape ma Carrousel et la serre dans mes bras : « j’ai renversé l’eau ! » me dit elle en sanglotant. Elle est inconsolable. Papa Ours, calmé, lui dit que ce n’est pas grave, qu’il a râlé parce qu’il a été surpris. Je lui dis que ça arrive à tout le monde de renverser ou de casser, qu’il suffit de nettoyer ou réparer. On se fait un petit câlin à 3, elle a du mal à s’apaiser. Bébé Fusée pleure, j’y retourne.

20h : Ma Fusée dort. J’arrive à grappiller quelques minutes de rire avec ma Carrousel en jouant à la bataille de coussins avec elle sur le canapé avant qu’elle aille au lit. Je me réjouis de pouvoir lui lire ses histoires du soir, un moment câlin qui se fait rare depuis la naissance de notre Fusée. On va se brosser les dents, faire pipi…Dans notre chambre, bébé Fusée se remet à  pleurer, encore. Je retourne à ma tétée un peu dépitée et papa Ours propose un petit jeu a ma Carrousel, pour que je puisse lui lire les histoires quand j’aurais fini. Ma Fusée à la peau douce et chaude et elle se rendort instantanément au contact de mes bras. Je me demande si les choses seront toujours ainsi, à osciller entre calme et tempête, bien-être et crises, espoir et déception, bonheur et amertume.. 

20h30 : Je suis installée au lit, ma Carrousel  adossée contre moi, je respire ses cheveux et je caresse sa main pendant que je lis l’histoire du petit ours qui se demande si sa maman l’aimera encore s’il fait des bêtises, s’il travaille mal à l’école ou si il aime quelqu’un d’autre… Après 2 livres, elle se dégage et s’allonge a côté de moi : « Attends je suis pas bien« . Elle enfouit sa tête dans ma cuisse et ferme à moitié les yeux : « Tu es fatiguée ? Tu veux arrêter les histoires ?« .

Non, me dit-elle.

Je vais pour reprendre ma lecture.

C’est juste que c’est difficile des fois, elle ajoute.

Je suis surprise. Je me demande de quoi elle parle.

Qu’est ce qui est difficile ma puce ?

C’est difficile des fois avec Bébé Fusée. Et j’ai renversé de l’eau et j’ai pleuré. Et les bébés peuvent pas attendre pour téter. Et c’est difficile des fois. Et tout le monde a son dragon qui crache des flammes.

Voilà, tout est dit.

Je suis bouleversée par ces mots qui semblent sortir de nulle part et qui pourtant sont d’une évidente justesse. Par sa façon d’exprimer son ressenti sans crier gare, d’une façon aussi emmêlée que les émotions dans son coeur. A moi de les saisir au vol, ces quelques mots posés sur ses états d’âme, là où la plupart du temps il faut les deviner derrière des cris, des pleurs, des non, des pipi par terre ou des exigences impérieuses.

Dans un monde idéal, les enfants exprimeraient leurs émotions clairement, dans le calme, en précisant leurs besoins : « j’ai besoin que tu t’occupes de moi et rien que de moi quand on sort de la crèche », au lieu de se rouler par terre pour une chouquette. « J’ai besoin d’un moment avec toi », au lieu d’être inconsolable pour un verre d’eau renversé. 

Dans un monde idéal, les adultes aussi en seraient capables. Ces adultes qui s’agacent pour ce même verre renversé au lieu de dire « de quoi as tu besoin pour nettoyer? », ou qui crient en pleine rue parce qu’ils se sentent stressés, au lieu de se ménager pour se sentir mieux.

Dans un monde idéal, on s’exprimerait en CNV (description, émotion, besoin), on prendrait tous soin de nos émotions pour ne pas les traîner comme des boulets dans les obstacles du quotidien.

Dans un monde idéal on aurait le temps, on aurait l’argent, on aurait l’énergie, on aurait la santé. On aurait l’empathie nécessaire à un monde de paix. On aurait la disponibilité mentale qu’exige les besoins des enfants. On n’aurait pas de portable. On n’aurait pas d’amis jeunes et malades. 

Mais on est dans la vraie vie.

Alors ça sort un peu n’importe comment, au quotidien ca dérape sans prévenir et sans qu’on comprenne trop pourquoi, c’est la casserole de lait sur le feu, prête à déborder a chaque instant, alors que la minute d’avant tout était encore calme. Il faut dire qu’en prime, des casseroles, on en traine tous un paquet, et ca complique tout.

Une fois la pression un peu retombée, quand chacun se sent un peu mieux, les émotions parfois s’expriment : excuse moi de t’avoir crié dessus, je ne trouvais pas ce que je voulais et j’étais embêtée de faire patienter mon amie, tu sais elle a un bébé encore plus petit que ta petite soeur…. Je n’aurais pas dû m’énerver pour le verre d’eau, j’ai cru que tu étais trempée et je suis fatigué… 

Et l’enfant d’à peine 3 ans les posent là, sans fioriture, sans preavis, entre deux pages de livre, ses émotions. Et puis elle s’endort, te laissant pensive, émue, avec l’envie de faire de longs discours, de demander pardon, de te rattraper… Mais finalement, elle est là, endormie, apaisée, sa main dans la tienne… Alors c’est que sûrement, la seule chose dont elle avait besoin sur l’instant, c’est de dire. Et toi, tu ne peux qu’accueillir.

24 réflexions au sujet de « Sans crier gare »

  1. Un ton très juste dans cet article, comme toujours. Merci de partager tes expériences de vie de maman qui ressemblent tellement aux nôtres et pour lesquelles tu traduis si bien ton/notre ressenti… on se sent moins seule(s) ! Signée : une jeune maman d’un petit garçon de 26 mois qui oscille (et qui nous fait beaucoup osciller par ricochet !) entre calme et tempête…

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  2. Comme toujours, tu poses des mots très justes sur des situations que nous vivons tous en tant que jeunes parents.
    Un point important qu’il faut garder en tête (et ce n’est pas une excuse mais un simple constat qui peut nous aider dans certaines situations pas faciles du quotidien) : le choix de l’éducation bienveillante est un chemin plus exigeant que l’éducation traditionnelle. On pourrait « s’epargner » certains moments compliqués en choisissant de punir ou de laisser pleurer. Mais nous avons fait un choix différent. Un meilleur choix mais parfois lourd pour nos petites épaules de parents. Et malgré les chaos, parfois, il y a le sentiment d’être dans le vrai. Et les moments de bonheur partagés en famille restent la meilleure des motivations.
    C’est sûr : ce n’est pas un long fleuve tranquille qui nous attend. Mais quelle vie l’est vraiment, comme tu l’évoques malheureusement pour ton ami(e). Alors prenons le meilleur et utilisons cette force pour rester honnête avec nos valeurs.

    Amitiés
    Arnaud

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  3. Bonjour,
    J’ai bien failli pleuré en lisant ce merveilleux texte… qui parle tellement bien de ces situations où tout se renverse en un quart de seconde… je le vis aussi avec mes 2 filles de bientôt 3 ans et 1 an.
    Les jours où je suis seule à la maison avec les 2 sont encore très compliqués . Mais quand je lis ces beaux et justes textes, je me dis qu’on n’est pas tout seul, et qu’on peut y arriver.
    On sème des petites graines qui germent sans crier gare…

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  4. Sans vouloir en profiter, j’ai cru comprendre que vous lisiez à votre grande « Est ce que tu m’aimeras encore ? ». J’ai cru comprendre qu’à la fin du livre, la question de la mort est posée. Cela suscite t-il des questions délicates?
    Merci à vous.

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    1. Pour l’instant, c’est très étrange, elle ne pose pas de question mais a ce passage elle le regarde a chaque fois assez « intensément », peut être parce qu’elle perçoit mon émotion a ce passage…. Et chez vous ?

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  5. Pareil, comme d’hab les larmes montent (et je suis au bureau alors je me cache ^^) en te lisant !! Petite Carrousel c’est super chouette qu’elle arrive à exprimer ainsi ses émotions. Belle victoire tu vois que ton « travail » , enfin, ton « investissement », « engagement » je sais trop quel mot utiliser! , marche.. Bravo…
    (Et j’espère de tout coeur que la mauvaise nouvelle s’arrangera bien vite)
    💓

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  6. Comme chaque fois depuis quelques mois que je te lis, je trouve tes mots/maux tellement justes, et si bien exprimés !
    J’en ai (encore une fois) la larme à l’œil.
    Bravo de savoir voir (et de partager) ces arc-en-ciel qui parsèment ta route !

    Et si ça peut aider, je partage ce qui m’a sauvé quand ma 3ème choupette avait quelques mois et que je ne pouvais quasiment pas la poser de la journée, c’est le portage dos ! Vider le lave-vaisselle, étendre le linge, donner le bain devient un jeu d’enfant 😉

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  7. Mais quelle belle écriture, comme toujours…!
    Après un petit stress en te lisant quant à ce qui m’attend (ma fille a à peu près l’âge de ta Carrousel et le/la deuxième arrivera dans quelques mois…), c’est l’émotion qui me submerge. Encore une fois, j’ai les larmes aux yeux en lisant tes mots. Parce qu’ils sont justes et beaux, et aussi parce qu’on se reconnait souvent dans ce rapport avec notre enfant. Quel chemin compliqué, surtout avec toutes ces embûches..!
    Mais je t’avoue que mon regard sur « la vraie vie » est différent. Je ne pense pas que je serais la même maman (surtout question sérénité) dans un autre pays, avec d’autres lois, d’autres possibilités… Pro maternage et bienveillance, je trouve qu’on a un sacré retard en France… Mais si chacun fait de son mieux…
    Merci de nous transmettre sur ton blog toutes ces clés qui nous servent au quotidien et de nous les raconter comme des piqûres de rappel ! 🙂

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  8. … En plein dedans… Mon Loupiot est né le 27 octobre… ma 5 ans est ravis, mais qu’il en prend de la place ce petit Loupiot, sa place à elle, sa maman à elle… Elle l’exprime aussi sans crier garde, d’un coup « tu es toujours avec lui et tu t’occupes pas de moi, je veux que tu le poses tout de suite… » Et comme toi, je cris parfois, trop souvent à mon gout, je perds patience, je demande pardon. Et souvent je pleure une fois tout le monde endormi, parce que j’aimerai tellement mieux gérer tout… parce que je ressens sa souffrance et que je me sens impuissante. Merci pour tes articles si riches en humanité et authenticité

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  9. Les mots de ta fille sont très émouvants. On sent qu’il est difficile pour les aînés de gérer les pleurs, le temps consacré au petit frère/petite sœur et de se trouver une nouvelle place.
    Chez nous aussi le dragon est sur le qui-vive. Nous avons le droit à des crises de hurlements difficiles à supporter et à réfréner, des gestes violents, des mots menaçants… Et parfois la patience nous fait défaut.
    Nous ne sommes pas seuls et ça fait du bien de le lire!

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  10. Comme toujours je suis émue par ta façon subtile de décrire les hautq et lss bas, les balancements de notre vie et de nos états d’âme avec des enfants en bas âge. À part ça je suis intéressée par l’histoire du petit ours que tu lis à Mlle Carrousel, pourrais tu me donner son titre stp ?

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  11. Je n’ai as renversé mon verre d’eau et pourtant je suis inconsolable. Ma 2 ans me manque tellement et je lui manque tellement mais j’ai tellement besoin de ma 3 mois et ma 3 mois a tellement besoin de moi… merci pour ces mots si justes et remuants, ils fnt du bien ❤

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  12. Je suis cette aventure d’un deuxième depuis l’annonce, les questionnements… Toutes ces petites tranches de vie qui me confortent de plus en plus dans mon choix d’un enfant unique, peut-être aussi parce que je vois dans ce que vit votre grande des choses que j’ai sans doute ressenties, ainée devenue grande sœur un peu trop vite.

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    1. Pendant longtemps je ne me sentais prête que pour un enfant. Nous étions tellement fusionnelles, pas de place pour un autre. Et je sentais que je ne voulais pas faire de la place pour un autre, aimer un autre, ôter de « moi » ) ma fille pour donner de moi à un autre. 7 ans et demi plus tard, sa soeur germait en moi et c’était magique. Je me entais prête, je nous sentais prêtes. 5 ans après sa soeur, un petit frère et la magie continue !! Bien sûr, les tout débuts ne siont pas toujours faciles et chacun doit trouver sa nouvelle place et la fatigue n’aide pas les parents. Mais je n’ai aucun regret, mes files n’ont plus, ni le papa. un enfant en plus c’est un amour en plus ❤
      Le secret, peut être, ne pas précipiter les choses, attendre que chacun soit prêt, se sente prêt.

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      1. Le temps se chargera de m’en empêcher, d’ici que le mien ait 7 ans, je serai trop âgée pour être mère une deuxième fois (dans de bonnes conditions, s’entend). J’avais toutefois lu je ne sais où que finalement, le corps, l’éducation, réclamaient de toute façon un écart d’au moins 3 ou 4 ans entre chaque enfant (ce qui correspond à un sevrage naturel et à une indépendance suffisante de l’enfant).

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