3-9 ans : Grandir en confiance·Et moi alors ?

Pourquoi on ne nous apprend pas ça avant de devenir parents ?

C’est quand elle prends les plans que j’ai échafaudé soigneusement dans ma tête et qu’elle les piétine copieusement sans vergogne

C’est quand elle me crie impétueusement ses besoins, qu’elle me les jette avec force à la figure, qu’elle me tient le menton pour que je ne puisse pas détourner le regard, qu’elle se révolte si j’esquisse un pas pour les ignorer, avec cette confiance et cette certitude que je n’aurai jamais qu’elle mérite d’être écoutée et entendue.

C’est quand je m’y prends mal, quand je suis injuste et déraisonnable et qu’elle me rend au centuple mes incohérences.

C’est quand je donne, et donne, et donne jusqu’à être vide, et que je me rends compte que je n’ai de toutes façons par d’autres options que de continuer à donner ce que je n’ai pas.

C’est quand je tâtonne pour trouver l’approche qui l’apaisera et qu’elle ne fait même pas semblant d’apprécier mes efforts et me renvoie ma copie barrée de rouge et de traits furieux qui soulignent mes maladresses.

C’est quand ses tempêtes sont le reflet de mes tornades et qu’une petite voix à l’intérieur me rappelle que tout est de ma faute. Comme d’habitude, elle persifle.

C’est quand je me délecte par avance de cette heure de sieste où je vais accomplir mille destins mis en suspens et qu’elle saute sur le lit en hurlant qu’elle ne dormira pas. Et qu’elle fini par réveiller sa sœur.

C’est quand je me mets à penser à tout ce qu’on aurait pu faire et dire, et tout ce qu’on aurait pu se sentir bien, si les choses s’étaient passées autrement et si, et si, et si…

C’est quand une pensée sournoise s’infiltre à mon insu dans ma tête, comme une flèche décochée dans mon dos par l’ennemi : elle te défie, ce sera toujours comme ça, tu es ridicule…

 

 

Alors l’orage éclate sans même prendre le temps de gronder et de s’annoncer.

Il y a bien pourtant quelques éclairs de chaleur, un ciel qui s’assombrit.

Mais comment empêcher l’orage d’éclater quand il a fait vraiment trop chaud avant ?

Comment faire pour lutter contre les éléments ?

 

C’est la colère qui me prend et qui m’emporte.

Loin, loin, très loin de là où j’aspire à aller.

Une part de moi voudrait résister, la part de moi qui réfléchit, qui raisonne et qui sait.

Elle me voit dévaler la pente avec effroi et me crie de me raccrocher à n’importe quoi.

Mais la colère rend tout lisse et glissant et incolore.

Au fond du gouffre, sa voix est lointaine et irréelle.

Je n’ai rien à quoi me raccrocher.

Et j’assiste, impuissante, à ma dégringolade.

Et dans mon gouffre, il y a les violences éducatives ordinaires que j’exècre : cris, hurlements, gestes brusques, mots qui sont des murs.

Et cette envie violente et puissante et inavouable de la faire plier.

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 « Maman », editions Mijade. Illustrations copyright Quentin Greban

Je me demande pourquoi c’est aussi dur de traiter un être humain avec le respect auquel il a droit ?

Est-ce que c’est dur juste pour moi ?

Après tout, ça semble si élémentaire, si évident, si normal : l’enfant est un être humain, point. Il est lui, il est libre, il ne m’appartient pas, il ne me doit rien. Et en prime, je l’aime éperdument, je veux son bonheur et bien plus encore.

Alors comment ce décalage, ce fossé, ce gouffre entre ma volonté et mes agissements peut-il exister ?

Je dois être un monstre, il n’y a pas d’autre explication.

Un monstre rare.

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 « Maman », editions Mijade. Illustrations copyright Quentin Greban

Pourquoi il y a peu d’endroit où je peux lire la violence que les enfants peuvent réveiller en nous ? Bien-sûr, certain.e.s le disent que c’est difficile, que c’est pas simple, que c’est compliqué.

Mais qui entend « il y a des instants fugaces d’une violence inouïe où j’ai l’envie inintelligible de briser mon enfant » dans « compliqué » ?

Pourquoi il n’y a nulle part où je peux la voir, la sentir, la toucher du doigt, l’apercevoir derrière une porte entrebâillée, malgré tous les médias qui prétendent nous faire partager la vie quotidienne de nos semblables ?

Pourquoi je vois des intérieurs désencombrés, des portraits de famille harmonieux, des activités salissantes dans des salons impeccables, des parents qui font des efforts avec le sourire, des placards 0 déchets, des paysages sereins, des enfants qui lisent, rangent, font seuls et mangent les légumes du potager à chaque fois que j’ouvre ce putain d’Instagram, pour ne citer que lui ? Pourquoi il n’y a personne qui a la bonté d’âme de nous expliquer comment on fait pour vaincre, dépasser et envoyer définitivement sur orbite ces moments d’explosion de soi qui font autant de mal à nos enfants, qu’on essaye par ailleurs de chérir et de nourrir de tous les terreaux et engrais naturels possibles ? Pourquoi a-t-on tellement besoin de partager ce qu’on réussit au lieu de partager là où on trébuche et se vautre, alors que ce sont de ces moments qu’on a le plus à apprendre ?

Plus encore, pourquoi on m’a bassiné avec la listéria quand j’étais enceinte, pourquoi on m’a appris à changer une couche à la maternité, pourquoi on m’a appris la tectonique des plaques en SVT et la trigonométrie en maths, pourquoi mes parents m’ont appris à faire du vélo sans roulette et à faire mes lacets, pourquoi on m’a appris tout ça et tellement d’autres choses et que A AUCUN MOMENT PERSONNE NE M’A PARLE DE MES ÉMOTIONS ?!?!

Pourquoi putain ?

Comment ils ont fait, avant nous, pour vivre et survivre à l’aveugle comme ça, sans mode d’emploi ?

Pourquoi personne ne m’a aidée à me connaître vraiment, à faire la lumière à l’intérieur pour mettre à jour mes rouages et mes aiguillages, à regarder en face mes recoins sombres et poussiéreux pour ne plus en avoir peur, à écouter la petite voix à l’intérieur sans la laisser m’envahir, à sentir mes bouillonnements et à creuser le canal qui pourrait détourner mes débordements, avant qu’il ne soit trop tard ou en tous cas trop dur de le faire.

Pourquoi enceinte on perd notre temps à faire du chant prénatal et à courir les magasins de puériculture pour choisir un tapis à langer assorti aux rideaux au lieu de prendre soin de notre santé émotionnelle, qui devrait être notre priorité absolue avant de faire venir au monde un petit être qui va appuyer sur tous nos boutons pour observer toutes nos réactions, sans faux semblants, sans hésitation, sans censure ?

Pourquoi on peut encore se sentir aussi seule avec ses ressentis, à l’heure où on est jamais plus vraiment tout seul ?

 

Au moins, je l’aurai dit.

C’est « compliqué », parfois.

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  « Maman », editions Mijade. Illustrations copyright Quentin Greban

 

 

 

 

 

 

 

 

74 réflexions au sujet de « Pourquoi on ne nous apprend pas ça avant de devenir parents ? »

  1. moi aussi je ne mets jamais de commentaires …. mais je te lis depuis un moment et je me « retrouve » a chaque fois. Ma fille a 3 ans et demi, mon fils 19 mois. Merci pour ce bel article, j ai beaucoup pleure en te lisant. et parfois, oui, c est complique.

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  2. Oh oui parfois c’est compliqué… Et plus mon grand loulou de presque 3 ans est fatigué, plus c’est compliqué… Et moins il veut dormir bien sûr et donc plus on perd notre calme et notre bienveillance! Des dérapages on en a eu… toujours en s’excusant et en expliquant et revenant vers lui avec un câlin. Essentiellement depuis la naissance du petit frère il y a 2 mois. Qu’est ce que c’est compliqué de gérer la prise d’assurance, d’autonomie et l’opposition systématique d’un petit troizans ! Courage en tout cas! Tu es une super maman…. Plus je te lis, plus je suis impressionnée et admirative !

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  3. Je ne me retrouve pas toujours dans tes choix de maman, mais à chaque fois tes textes me font réfléchir, merci pour ce temps consacré à nous écrire 🙂 .
    Ici c’est vraiment les deux par contre!
    Pourquoi je partage si peu le détail des émotions qui me traversent? Parce que j’en ai honte, je ne les trouve pas présentables, trop intimes. Elles sont mon fond noir et sale et je ne peux que les évoquer sur l’espace public qu’en faisant des blagues ou des allusions. Avec des amies maman proches je discute de cela plus en détail oui, si elles aussi me font la même confiance. Ça fait du bien de savoir que l’on n’est pas totalement disfonctionnel puisque beaucoup ressentent et font les mêmes erreurs que nous, même ceux que l’on admire et dont les enfans ne sont pas manifestement malheureux ni psychotiques!
    Pourquoi je fais du tri régulier dans les comptes Insta et autres que je suis? Parce que sous prétexte de chercher des informations ou de l’inspiration d’autres parents, je me fais du mal en me comparant. Et mon cerveau, va savoir pourquoi, ne notera que les belles images, les réussites des autres alors qu’il me mettra toujours en avant mes propres moments foireux. Donc en ce moment je fais une cure détox zéro réseau sociaux. Parfois quelques blog, le tien en fait partie car 1 je suis très différente de toi donc j’arrive à prendre des recul, 2 tu parles aussi du quotidien difficile et je sais que tes partages sont sincères, 3 j’aime comme tu écris.
    Mes recettes miracles? Me créer mes trucs à moi, arrêter de chercher à mettre en pratique ce que d’autres font ou veulent me faire faire. Accepter ce qui est moi, chercher à améliorer ce que je veux pour mes filles, être sincère avec elle sur mes erreurs. Prendre la parentalité comme une aventure, la guerre des étoiles, une odyssée épouvante, qui me rend plus vivante que jamais, malgré les cernes et les gros creux de vague. Je veux éduquer mes enfants dans l’amour et la bienveillance, je veux qu’elles mêmes connaissent leurs émotions et vivent bien avec, je veux qu’elles soient fières de moi. C’est mon cap. Parfois j’échoue mais je me relève toujours et redresse la barre . Rien n’est figé, surtout rien n’est lisse et je crois que les difficultés du quotidien enrichissent aussi l’éducation. Quand on prend le temps de la discuter et remettre sans cesse en question les détails, pas l’axe général.
    Pourquoi je n’ai pas jeté l’éponge ? Grâce au père avec qui je fais équipe et qui lui partage mes côtés obscures. Notre bienveillance l’un envers l’autre.
    Merci à toi et à tous ceux qui ont commenté, ça fait aussi partie de ce qui me donne de l’énergie.

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  4. N’écoute pas cette « part de [toi] qui réfléchit, qui raisonne et qui sait ». Écoute tes tripes, ton instinct: c’est un guide plus sûr et plus sage.
    Aime toi , respecte toi, console toi comme tu le fais avec tes enfants . Pas de pression, pas de jugements, pas de comparaison : la recette reste la même pour les parents 🙂

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  5. REVELATION. Le texte que tu viens d’écrire, ce sont les mots que moi meme je n’arrive meme pas, pour le coup, à prononcer tellement ils sont enfouis, loin loin dans mes tripes de petite fille.
    Les émotions. C’est vrai, moi non mes parents ne les ont jamais pris en considération.
    Encore hier, j’ai hurlé sur mon fils…je l’ai meme mis « au coin », tellement j’étais furieuse qu’il touche à mon appareil photo qu’on m’a offert et qui coute un bras.
    Depuis, hier, je suis déprimée, je lui ai demandé pardon, je me dis que je suis vraiment pourrie comme mère, je suis bi-polaire surement, un coup ça va je suis bienveillante, l’autre coup je suis sanguine au moindre truc, la soupape qui saute.
    Merci pour ces mots. Pour moi, c’est donc très très « compliqué » aussi, parfois.

    Merci d’avoir crée ce blog, merci du fond du coeur. Je viens très souvent te lire et après ça va toujours mieux.
    Tu connais « Même qu’on nait imbattables » le film sur la bienveillance?

    Marion

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  6. Un immense merci pour ce texte, ce partage dans l’authenticité…
    Merci également à tous pour les merveilleux commentaires.

    Je ne suis pas maman… ou plutôt si, mais seulement de mon enfant intérieur pour le moment.
    Même sans enfant, tout ce que tu décris, je le vis, avec d’autres personnes.

    N’ayant jamais appris à accueillir mes émotions quand j’étais petite, ça a donc fait l’effet d’une bombe ensuite.
    Plusieurs burn out à la clé, j’ai tout quitté, mari et boulot qui me faisaient vivre.
    J’ai fait des formations et stage en développement personnel qui m’ont appris et surtout permis de reconnaître, accueillir puis exprimer mes émotions, donc avec ce bagage en poche je croyais que les tempêtes émotionnelles allaient s’estomper mais que neni ! En fait elles sont toujours là, toujours aussi intenses, mais le fait de ne plus les enfouir ni les rejeter, et au contraire de les accueillir, elles durent moins longtemps et je rebondis plus vite.
    Et aussi je fais indirectement le cadeau à autrui de s’autoriser à en faire autant… Certains ne le supporteront pas, car enfermés dans leur peur de se mettre à nu ou leur honte, et c’est OK. Quant aux autres, ça leur ouvre une voie …

    Une piste qui m’a beaucoup aidé, les vidéos d’Isabelle Padovani sur YouTube tube, qui par la CNV, permet cet accueil inconditionnel.

    Je vous souhaite le meilleur.

    Céline
    http://www.acoeurjoie.fr

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  7. decidement j’adooooore venir ici… lire… rire… me reconforter… je n’aime pas instagram… ce culte de l’image… de la perfection…

    puis en effet pq ne partager que les bons cotes alors que ce sont de nos erreurs qu’on apprend… qu’on rectifie.

    je vis cela moi aussi ces fleches dans le dos quand il m’arrive de me dire que ma fille exagere sur une chose ou l’autre alors que ce n’est evidemment pas le cas. c’est une enfant (un petit bebe meme) qui vit tout simplement et qui apprend tout de ce qu’est la vie de plein fouet comme tous les bebes avec toute la palette d’emotions qu’ils ont en eux alors non ils n’exagerent pas quand ils s’expriment par des raleries… ils expriment un mecontentement legitime tout simplement.. quoi qu’ils expriment est legitime… alors quand je perds ca de vue je me sens mal mais je m’en rends vite compte et je rectifie heureusement mais c’est un job quasi quotidien… nous avons acquis des schemas de pensees qui ne sont pas les notres mais qui sont herites de notre education traditionnelle et de la societe… c’est deja super de s’etre rendue compte que tout cela n’etait pas ce qui est juste tout simplement et de s’en defaire chaque jour un peu plus… j’ai vraiment l’impression de me defaire de cette peau de chagrin qu’est cet heritage de l’education que j’ai recu… les enfants sont intrinsequement bons… preservont cela et rappelons nous que nous aussi nous sommes comme eux… intrinsequement bons et qu’il faut juste nous en souvenir et agir a partir de notre coeur et non plus a partir de notre heritage. c’est assez facile finalement une fois qu’on a conscience de ces deux facettes et qu’on sait reconnaitre de laquelle emane nos pensees et nos gestes envers les enfants… et si on se trompe a un moment ou un autre on rectifie le tir mais il ne faut pas culpabiliser … nous ne sommes pas responsable d avoir herite de cela!!! nous ne sommes pas responsable de la facon dont la societe et nos parents ce sont comporte envers nous et nous n’avons pas a porter ce fardeau qui nous revient deguiser en culpabilite .. nous sommes par contre responsable de ce que nous decidons de faire des a present a partir de tout cela.

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  8. Oh putain… Désolée, mais là… Je chiale, et je me vide de tout ça grâce à tes mots. Pareil pour moi, pareil ici. C’est dur, ça fait mal, ça brise. Balaise pour tes mots, ils sont super justes. Ça tape là où il fallait. Comment dire…? Gratitude.

    Aimé par 2 personnes

  9. Merci pour cet article qui tombe à pic et qui est si vrai, on ne parle pas assez de nos émotions en effet et c’est bien triste.
    Merci d’avoir brisé la glace. Et puis tu écris merveilleusement bien, c’est un régal de te lire!

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