Pour l’anniversaire de la Fusée, j’ai demandé à Carrousel si elle voulait bien écrire le nom des invités sur leur sac-cadeau en papier (recyclé). Elle s’y atèle et elle oublie une lettre dans le premier prénom. Je lui fais remarquer, elle recommence. Elle écrit en majuscules, allongée sur le tapis du salon, ses grandes lettres sont de traviole et pas régulières et en arrière-plan de ma conscience, on ajoute quelques brindilles bien sèches à un tas de bois qui a commencé à se former quelques jours auparavant. Elle me tend le sac et je vois qu’elle a tracé son « E » avec 4 barres au lieu de 3.
« Mais Carrousel, regarde ton E ! Je croyais que tu écrivais mieux que ça ! « .
BOUM. Qui a craqué l’allumette sous le brasier sans me prévenir que c’était jour de feu de camp
A l’instant où les mots parviennent à mes oreilles, ils me griffent. Je m’entends les dire en même temps que je me demande pourquoi j’ai dit ça.
Regard heurté et fermeture instannée du coeur de ma Carrousel.
Je bredouille quelque chose de tout aussi naze, sous le coup de mon propre choc.
J’accorde un peu d’attention au feu qui a crépité dans mon dos. D’où elles sortent ces putains de brindilles ?
« Excuse-moi Carrousel, ce que j’ai dit là, ça ne parle que de moi, pas de toi. Ce qui se passe, c’est que depuis quelques jours je m’inquiète de ne pas avoir fait suffisament bien mon travail de maman pendant le confinement. On a fait énormément de choses géniales ensemble et j’ai adoré, mais on a fait peu de travail d’école. Hier, j’ai vu Machine écrire en attaché, faire des puzzle avec pleins de pièces et je me suis sentie inquiète car j’ai choisi de ne pas te faire travailler tout ça et maintenant j’ai peur d’avoir mal fait. Donc quand je t’ai vu écrire aujourd’hui, c’est mon inquiétude de ne pas avoir bien fait mon travail de maman qui a parlé et j’en suis désolé.
« Oui ben c’est déjà bien d’écrire en majuscule et sans modèle maman !!!
On ne la fait pas à la Carrousel ; elle argumente avec une colère triste qui s’accorde bien avec son incompréhension de mes propos. Depuis quand est-ce que maman me compare avec mes copines ? Elle jette le sac et tout en pleurant, elle grimpe l’escalier quatre à quatre et se réfugie sous la couette dans notre chambre.
Point positif : la Carrousel est révoltée, ça veut dire que j’ai bien que ME comparer ait longtemps été une seconde nature, j’avais réussi à l’en préserver à peu près.
Dans mon dos, le feu de paille est éteint depuis bien longtemps et crache un triste fumet gris.
« Toc toc toc, je peux entrer ? ». Il n’y a même pas de porte à la chambre, mais n’empêche.
Je glisse ma tête sous l’oreiller avec elle, elle me tourne le dos.
« Je peux te raconter un truc ? ». Elle me jette un oeil par dessus son épaule.
« Quand j’étais à l’école primaire, j’avais un maître qui m’aimait beaucoup, parce que je racontais des blagues dans la cours et que j’utilisais des mots compliqués dans mes rédactions (c’est quoi une rédaction?). Il m’envoyait souvent au tableau pour corriger les exercices car j’avais souvent fini en premier et j’avais les bonnes réponses. Un jour, j’y suis allée et je n’étais pas très concentrée car ça me semblait facile et je me suis trompée dans l’exercice, juste à un endroit. Et le maître m’a dit « Et alors Mademoiselle Poule, qu’est ce que c’est que cette réponse ? Relis toi, tu peux faire mieux que ça ! » (Pourquoi il a dit ça?). J’avais honte de m’être trompée devant toute la classe, mais surtout j’avais l’impression que j’étais nulle. Alors qu’en plus c’était juste une petite erreur. J’ai pleuré en cachette à la récréation (pourquoi tu t’es caché pour pleurer? ) et c’était dur ensuite de retourner au tableau. Je crois qu’en fait le maître avait confiance en moi, qu’il savait qu’avec plus de concentration j’étais capable, et qu’il voulait m’aider à progresser. Malheureusement c’est une façon maladroite de faire, mais à l’école on insiste beaucoup sur les erreurs comme si c’était une mauvaise chose, on nous apprend que ce n’est pas bien de se tromper. Alors que maintenant je sais que c’est quand on se trompe qu’on apprend le plus, c’est même la seule façon de progresser et je t’encourage vraiment à en faire plein ! Mais parfois ça difficile pour moi de me tromper, surtout quand il s’agit des choses liées à l’école. Je crois que c’est aussi pour ça que j’ai mal réagi tout à l’heure, tu sais même les mamans ont une petite fille à l’intérieur d’elle et parfois c’est elle qui parle.
Carrousel a retrouvé le sourire.
« Ca t’a fait quoi dans le coeur et dans la tête quand j’ai dit ça ? »
» Je me suis dit que j’étais nulle et que je ne savais pas écrire ».
Coeur en miettes
« Ma puce, vraiment je n’ai pas pensé ça une seconde et mes paroles ne parlent que de moi, de la petite fille que j’ai été et de la maman que je suis ».
« Tu me le promets ? » – « Je te le promets ».
Bilan : j’ai merdé mais on a appris quelque chose, CQFD.
Je crois vraiment que la réelle richesse de l’éducation « en conscience » est de nous amener à nous explorer, nous sentir, nous connaître et nous guérir nous, parents, au fil des expériences avec nos enfants.
Revenir à soi, c’est souvent la clef dans les situations qui nous posent problème avec nos enfants : non pas pour se flageller ou se culpabiliser, non pas pour dire que « c’est toujours de la faute de la mère », mais pour avancer en profondeur.
Le retour à soi permet d’abord de reprendre la responsabilité de ses émotions désagréables au lieu d’en blâmer son enfant, comme l’éducation traditionnelle nous a appris à le faire. Chaque fois que je reprends la responsabilité de mon émotion (« Je suis contrariée, car lorsque tu fais ça, je me dis que…. ») plutôt que de l’accuser (« tu es infernal ») ou de formuler notre émotion comme si le lien entre son action et notre émotion était intrinsèque (« Tu m’enerves quand tu fais… »), je permets à mon enfant de se construire en étant lui-même plutôt qu’en référence à un illusoire système de valeur externe présenté comme universel(ce qui est bien/mal, gentil/méchant, bon/mauvais) alors qu’il n’est le reflet que du système de valeur de celui qui « éduque ».
Ici, « écrire en attaché à 5,5 ans » n’a aucune valeur en soi ; ça n’a d’importance que celle que je lui donne, et il se trouve que comme le graphisme est un critère de référence de notre système scolaire actuel et que c’est au regard de mes résultats scolaires que je me suis longtemps définie , il compte plus pour moi que ce que je voudrais. On met cet élément dans le shaker, on ajoute quasi 30 ans à jauger ma propre valeur à l’aune de comparaison avec mes pairs sur fond de perfectionnisme maladif, on y ajoute la rentrée qui approche dans un climat de non-alignement avec mes propres aspirations puisque je rêve de nature, de liberté et d’aventure pour mes enfants et que je leur propose une école avec une pauvre cours et 50 mètre carré d’appart en centre ville avec garde alternée comme cadre de vie, on secoue bien fort, et paf, ça fait des Chocapics (=de la merde). La conclusion plus rapide, ça pourrait être que je suis une vraie quiche sur ce coup, car la Carrousel est loin d’être en retard y compris sur le plan scolaire, y’a même pas de lâcher prise à avoir, c’est un non-sujet.

Le retour à soi, disais-je, nous permet surtout et avant tout de revenir dans un état d’esprit plus constructif pour aborder la situation. Ici mon agaçement tourné vers son manque d’application graphique s’est immédiatement dissipé dès que j’ai pris conscience que sa source prenait naissance en moi. C’est encore plus flagrant lorsque nous éprouvons de la colère nourrie par des pensées accusatrice envers notre enfant (« il me cherche », « elle n’écoute rien! », « A son âge ce n’est pas normal », etc) ; reprendre la responsabilité de nos émotions est bénéfique pour nous autant que pour l’enfant car cela nous redonne accès à notre créativité et à notre empathie, avec à la clé la possibilité de trouver des solutions qui font du bien à tous.
Le retour à soi, enfin, apporte souvent un éclairage intéressant, qui ouvre une porte pour avancer : qu’est ce que mon émotion dit de moi, de mon histoire ? Pourquoi ai-je autant de mal dans cette situation particulière ? Est-ce que ce qui m’agaçe chez mon enfant, c’est quelque chose que je n’aime pas chez moi ? Ou au contraire c’est quelque chose que je ne comprend pas car mon enfant me semble trop différent de moi ? En général, quand le parent a conscience d’avoir souffert de quelque chose dans son enfance, il est particulièrement vigilant et tolérant avec son enfant à cet égard. En revanche, quand l’enfant pointe des choses chez nous que nous n’acceptons pas, que nous essayons de ne pas voir, avec lesquelles nous entretenons un rapport plus ambigu (comme l’école et moi…) ou des blessures dont nous n’avons pas conscience, le cocktail peut être détonnant.
Bon, et vous, vous avez des ratés qui font avancer à partager ?
Hier j’ai lancé à mon loulou de 3 ans et demi qui avait mis de l’eau sur lui en buvant « tu le fais exprès ou quoi? » Et ce matin alors qu’il n’entendait pas mal demande « mais tu comprends pas le français ? ». Je ne sais pas d’où viennent ces phrases. Je me suis excusée en lui disant que je n’avais pas à lui dire ça pour une maladresse et pour ne m’avoir pas entendue/comprise. Parfois ça jaillit de nous comme de la lave d’un volcan… Ma mère a toujours été top mais très humiliante par ses phrases de ce genre, je dois donc sortir de ce que j’ai vécue enfant. Cest difficile mais j’y arrive la plupart du temps… Bon courage à vous vous êtes une super maman y a pas de doute, la remise en question c’est la meilleure qualité parentale.
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Encore un bel article qui raisonne en moi. C’est les larmes aux yeux que je te lis. Bébé a 2 mois seulement, et je redoute le jour où des mots que je ne désirent pas dire sortiront tout seuls. J’espère les entendre comme tu as entendu les tiens. Pour arriver à corriger au plus vite. Tes articles nous aident à être de meilleurs parents. Merci du fond du cœur 💖
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Merci pour ce billet très bien écrit comme d habitude. Il tombe à pic je rumine mes paroles d hier justement.
Nous sommes en vacances dans un camping. Ma fille de presque 6 ans demande à jouer avec des enfants qu elle ne connaît pas. Ils jouent au loup (à chat). Au début tout va bien puis ma fille commence à râler, refuser de jouer quand c est elle le chat. Elle se met même à pleurer, se plaindre du pied (qui n a rien).. et recommence à courir quand ce n est pas elle le chat. Bref, les autres enfants en ont eu marre et sont partis jouer ailleurs.
Au lieu de la consoler…je l ai grondé. Je crois que j ai eu « honte » de son attitude, sa mise à l écart… mais qu au lieu de lui expliquer je me suis énervée. Je bouillais et je suis restée de mauvaise humeur toute la journée.
Voilà je suis preneuse si quelqu’un peut m aider à gérer ces situations nombreuses par ailleurs (elle n a pas de copains, n arrive pas à se socialiser, se fait mettre à l écart).
En tout cas bravo à toi de savoir gérer l après et te questionner si bien sur toi même
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Bonjour, encore un article merveilleusement écrit et qui résonne je pense pour la plupart des parents qui passent sur ce blog. Je suis admirative de votre prise de recul quasi instantanée sur de telles situations et cette lucidité sur vos réactions et leurs origines…j’aimerais tellement arriver à faire de même ! Merci pour ce partage ❤️
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Tu sais mettre des mots sur les maux de notre enfance. Chez moi aussi grosse pression de la réussite a l’école et cours de violon forcés pendant 8 longues années. Des crises de larmes et de stress à chaque répétition tous les jours. Des mots durs à entendre sur mon incapacité à jouer convenablement… Je me suis jurée de ne jamais forcer les enfants à faire une activité s’ils ne sont pas demandeurs. Tes filles ont beaucoup de chance d’avoir une maman autant à l’écoute et qui sais suivre son coeur pour leur donner une éducation pleine de bon sens et de beaux sentiments.
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