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Lettre ouverte au système de soins psychiatriques

* Lettre ouverte *

Je suis en colère et j’ai besoin d’être entendue, car le système de soins psychiatriques ne m’a pas demandé pardon.

Et je demande des excuses aux médecins généralistes qui prescrivent des anxiolytiques, des antidépresseurs, des antipsychotiques, comme ils prescrivent du Spasfon, parce que gribouiller une ordonnance est toujours plus rapide et rémunérateur qu’écouter, arrêter, accompagner réellement l’humain. Parfois, il vaut mieux accepter avec humilité ses limites, accepter de ne pas pouvoir agir vite, rediriger vers les personnes compétenTes (et disposant de temps…) plutôt que de se donner l’illusion d’avoir réglé un problème en 7 minutes quand on ne fait que l’aggraver.

Je demande des excuses au médecin qui m’a reçue quelques minutes un matin de décembre 2017, désemparée, en quête de réponses et d’outils et qui m’a renvoyée sans l’un ni l’autre, drapé dans un « je ne peux rien faire pour vous » sans appel.

Je demande des excuses à nos dirigeants qui sont tellement cassés à l’intérieur qu’ils pensent que 20 minutes chez un psychologue, c’est un temps et des moyens décents à accorder à la santé mentale, pourtant garante de la cohérence du monde.

Je demande des excuses à un système de soins psychiatriques qui n’a pas les moyens de soigner réellement qui que ce soit bien qu’il prétende le faire, car soigner les maux de l’âme prend du temps et des ressources que n’exigent pas les camisoles chimiques. Je demande des excuses à un système de soins qui repose essentiellement sur une pharmacopée quand elle ne devrait être qu’une béquille provisoire.

Je demande des excuses à un système de soins hors de la réalité et inaccessible, où les proches d’un patient sont utilisés pour l’atteindre sans jamais être accompagnés, écoutés, outillés. A la fois au cœur de la guérison et tenus à l’écart, exploités mais pas éclairés, blessés mais jamais réparés.

Je demande en particulier des excuses au psychiatrique du CHS qui m’a convoquée un après-midi de janvier 2018 et qui m’a mise face à un marché dont je n’ai compris la portée que longtemps après : user du lien affectif qui existe entre un père et sa fille pour le forcer à avaler des médicaments, ou signer une hospitalisation forcée en unité fermée avec menace de l’attacher et de lui administrer de force ses traitements. Je demande des excuses à ce psychiatre qui m’a laissée repartir sans une explication, avec l’image à jamais gravé dans la rétine de mon père me regardant comme une biche traquée.

Je demande des excuses à un système de soins qui laisse les personnes s’enfoncer au point de mettre les familles face à des choix impossibles où toutes les portes sont vermoulues. Je demande des excuses pour ce jour de février 2020, au lendemain des 6 ans de ma fille, où j’ai été forcée avec mon frère de ceinturer mon père sous les yeux du médecin et de le pousser dans une ambulance.

Je demande des excuses à l’équipes des urgences qui, à notre arrivée en ambulance, m’a sollicitée pour des tâches administratives, m’a laissée promettre à mon père de revenir vite, puis m’a empêchée de retourner à ses côtés, m’a gardée seule pendant 2 heures dans une salle d’attente et un profond désarroi, puis a transféré mon père en hôpital psychiatrique sans me laisser la possibilité de l’accompagner, ni de lui dire au revoir, ni de lui expliquer que je ne l’avais pas trahi. Je demande des excuses à cette infirmière qui m’a regardé pleurer, supplier de me laisser lui parler, m’a opposé le COVID puis m’a dit de prendre du recul puis encore une fois mise face à un marché intenable: « si je vous laisse y retourner vous allez vous sentir mieux, mais lui va se débattre et on devra l’emmener de force devant vous ». Je demande des excuses pour cette manipulation bien orchestrée sur fond d’impuissance et de manque de temps pour accompagner, qui m’a enlevé le peu de pouvoir de décisions qu’il me restait encore.

Je demande des excuses pour le paternalisme que quasiment chacun des soignants a opposé à mes questions et ma quête de sens alors que je faisais face à l’une des souffrances mentales les plus graves et les plus violentes connues à ce jour de la psychiatrie. J’ai téléphoné, j’ai frappé aux portes, écrit des courriers, sollicité, posé des questions, demandé ce que je devais faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, demandé si ma compréhension était ne serait-ce que partiellement la bonne et je n’ai reçu que quelques paroles m’invitant à me reposer, à faire confiance aux soignants et les mots faussement poétique de « mélancolie » jeté sur une feuille de compte-rendu que personne ne m’a expliqué.

Je demande des excuses aux soignants qui savent que la mélancolie n’a rien de poétique, que la mélancolie décharne le corps, possède l’esprit, vide le cœur et mène droit à la mort la personne que l’on aime et qui m’ont laissée seule avec cela, moi et les autres membres de ma famille qui ont pourtant montré leur amour et leur implication.

Je demande des excuses aux équipes du CHS qui m’ont convoquée un après-midi de mars 2020 et m’ont abreuvée de discours flous ayant pour principal objectif de se couvrir légalement tandis que je comprends maintenant qu’ils avaient simplement besoin de la place occupée dans leur service par mon père. Je leur demande des excuses pour m’avoir de nouveau mise dans la position de celle qui prend les décisions que personne ne veut prendre, celle qui maintient son père captif d’un gouffre de désespoir. Ce jour-là je n’ai pas pu prendre cette décision, et de quel droit l’aurais-je encore fait ? Parce que ce jour-là, vous avez dit « il n’a plus rien à faire ici » de votre place de soignant qui surplombe et qui sait, et c’est vrai qu’il n’avait rien à faire dans cette prison de l’anxiété mon papa, mais l’homme mélancolique au regard traqué qui siégeait en face de moi cet après-midi-là avait encore besoin d’aide. Mais vous avez montré la porte comme votre victoire, et derrière la porte il y avait le vide, le grand saut et vous nous avez fait croire qu’il saurait voler sans parachute.

Je demande des excuses à un système qui n’a aucune moyens pour s’adapter à la finesse de l’âme humaine: on force, on enferme, on attache, on drogue et tous les coups sont permis pour forcer à survivre. Puis on laisse les gens s’évaporer dans la nature et on compte sur leur bonne volonté, leurs ressources internes dont ils ont prouvé qu’ils manquent.

Je demande des excuses au système pour le suicide de mon père : chacun des moments que je dénonce a gonflé la force du désespoir qui a poussé le tabouret.

D’autres personnes ont contribué, et des excuses sont exigées.

Je demande des excuses au système pour ce que j’ai subi en tant que fille de cet homme que j’aime infiniment, pour la culpabilité que le système me laisse porter impunément et les scènes traumatiques avec lesquels il me laisse essayer de mener ma vie.

Je demande des excuses au psychiatre responsable de service qui a osé me demandé ce qu’il s’était passé, car « votre père allait très bien quand il est sorti ». Une belle illustration d’un système qui reste aveugle et sourd à toute remise en question, qui continue de voir les gestes et des symptômes décorrélés de la globalité de la personne, qui a fini par oublier l’humain et la sensibilité alors que c’est le cœur de son métier, un enfant qui préfère dire « c’est pas moi ! » plutôt que de prendre sa part de responsabilité pour progresser vers sa vocation, une grosse machine immature qui n’apprend pas de ses erreurs.

Être interné de force en psychiatrie est un enfer, n’avez-vous donc pas appris que vos patients feront tout pour en sortir, y compris mentir, y compris mourir ? Quand ferez-vous de cet enfer un lieu de guérison véritable ? Quand mettrez-vous les moyens et les compétences pour prendre en charge globalement un être humain cassé, pour le considérer en entier dans son système de vie, pour accompagner ses transitions et son retour à la vie « normale » ? Quand considérerez-vous que les proches de ce patient ne sont pas une contingence de plus à gérer, des visites à réguler, une signature à obtenir sur un papier, une boite aux lettres à qui envoyer des documents formels pour être dans la légalité, mais votre seul accès à qui est vraiment « le patient » quand il n’est pas un patient ? Quand réaliserez-vous que vous ne guérirez personne en faisant cavalier seul avec vos termes inaccessibles, vos ordonnances et vos conseils à huit clos. Quand comprendrez-vous que l’être humain fonctionne en système avec ceux qui l’entourent ? Les souffrance du patient sont aussi les souffrance de celle qui signe d’HDT, et la clef de guérison est quelque part au-dessus de la constellation.

Et si parfois je mentionne les personnes, notez que je leur reconnais (presque) à toutes une bonne volonté et que je ne peux qu’imaginer les difficultés de ce métier ; c’est le système qui fait l’objet de ma colère.

Et si mon témoignage trouve échos quelque part, n’hésitez pas à le partager.

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3 réflexions au sujet de « Lettre ouverte au système de soins psychiatriques »

  1. Oh que je partage ta colère. J’ai été hospitalisée en psychiatrie dans une autre vie, y a 22 ans, et oui c’est l’enfer pour celui qui y est et pour l’entourage. C’est carcéral. C’est destructeur. J’en suis sortie cassée, bien plus que qu’en j’y suis entrée et droguée sur ordonnance… avec des mois pour m’en défaire. J’en suis sortie avec des peurs que je n’avais pas avant. J’en suis sortie déconnectée de moi même…

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  2. Merci pour ce témoignage. Je trouve ce système tellement aberrant. Il s’inscrit dans la continuité et la logique d’une société de rendement et de productivité au détriment de l’humain.
    J’essaie d’œuvrer pour l’humain, la restauration de l’identité de chacun.e, dans mon quotidien personnel et professionnel.
    L’océan est constitué de gouttes d’eau.

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  3. Je découvre ce post avec stupeur, après avoir lu essentiellement des articles de vous sur la parentalité (très fins, justes et drôles d’ailleurs). J’ai moi aussi été confrontée à ce monde, quoique d’une autre manière. Pour l’heure, je n’ai pas envie de parler de moi mais plutôt de vous envoyer toute la compassion possible. Ce que vous avez vécu est atroce, ce que vous décrivez révoltant, je ne peux imaginer comment on se remet de perdre un père de cette manière, dans de telles circonstances. Votre colère envers le système est parfaitement justifiée et vous n’avez à culpabiliser en rien (même si je sais bien qu’il ne suffit pas de se l’entendre dire, ni même de se le dire à soi-même, pour ne pas ressentir cette culpabilité). Vous avez été prise au piège d’un système qui piège tout autant, quoi que d’une autre manière, ceux qui travaillent en son sein et finissent par se réduirent à des rouages de la machinerie, quand bien même leur engagement initial dans la profession de soin pouvait être sincère. Je vous souhaite toute la force et le soutien possible pour vous réparer après cette épreuve que je ne peux me représenter que comme un fracassement.

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